“ Fougère entame ici une nouvelle série d'albums, Chorologie, qu'il souhaite consacrer à des projets rétrospectifs, des ressorties de musiques oubliées. On nous invite aujourd'hui à nous plonger dans la riche discographie de Tzii, musicien français, discographie qui nous ramène une vingtaine d'années en arrière. C'était l'époque des raves et de l'atermondialisme, des albums physiques et de Julien Lepers. Sur ces 20 ans, Tzii aura sorti de nombreux albums, EP, splits, musiques pour la scène ou le cinéma, tout en voyageant constamment dans le monde entier, et plus particluièrement en Afrique. On peut globalement dire que sa musique est quelque part entre la scène anglaise indus occulte des années 80-90 autour de Coil, Nurse With Wound ou Death In June, le psychédélisme des Legendary Pink Dots, ou l'orientalisme onirique des plus beaux albums exotica de Haruomi Hosono. Une musique d'ambiances fascinante dans sa capacité à mobiliser des images, des scènes et à faire remonter des souvenirs, voire à en recréer, en transformer d'autres, en mélanger, en faisant bouillonner notre imaginaire sensoriel et mémoriel. On croise ainsi Harrison Ford au marché asiatique sous la pluie entouré de gratte-ciel dans le menaçant « Senseï in the sun » ; on surprend une conversation à une heure impossible entre un homme et une femme, quelque part dans une pièce à côté, ou autre espace-temps dans « You Are ...», quand soudain une femme crie à la toute fin du morceau « Une femme sous influence ». Des rituels se tiennent dehors, dans la cour, dans « It's not real to you but it's real to me » et personne ne m'a prévenu. Qu'est ce qui se passe ? On est oú ? C'était pas Burroughs qu'on vient de croiser, là, au marché de Tanger, en sortant de chez le disquaire ? Il a tué sa femme, ou c'était seulement dans son livre? Cette piste assez orchestrale, « We scared each other », on ne l'a pas entendue dans ce film y a 20 ans, quelque part en Espagne, avec ces dialogues imbitables ? Et ce cyber chaman à la voix déformée dans les graves, à la fin du « Swamp Ritual 9 », on y était, ou c'était la télé, sur une chaine obscure ? Comme dirait Johnny, « Vous pouvez m'assurer que celà a vraiment existé ? Dites-moi, allons, ne me racontez plus d'histoires ! ». Me revient aussi cette troublante impression de reconnaitre tout le monde dans la rue, comme si on s'était tous vus à un concert, il y a trois ans de ça. Mais oú ? Qui jouait ? Et ces voix, comme dans « Hand of cold », ou « Night Managers », qu'on est surs d'avoir entendues à la radio, ou peut-être que la radio retransmettait un « déjà-vu » directement depuis nos rêves, ou depuis nos disques durs, blindés d'albums interchangeables et au finale pour la plupart perdus. Mais oui, tout était déjà là quelque part, sans qu'on le sache. Tzii est très fort pour entrer en résonnance avec notre intimité, et la faire vibrer d'autant plus puissament, comme une membrane de tambour. Ah ! On croise Léo Ferré qui s'égosille derrière un merdier impossible sur « Time is the Cure », un collage hallucinatoire, débile et sinueux comme une de ces peintures indiennes kitsch oú les divinités dansent avec 28 bras et jambes. Est-ce que c'est l'une d'elles qu'on entend courir derrière nous, ou est-ce que le père Léo l'empêche de nous poursuivre quand on ferme enfin la porte ? On sort des deux disques fourbu, haletant, plein de sueur, mais bien vivant (pour l'instant). Le cauchemar n'est pas loin , on le devien derrière quelques portes, certains titres sont plus bruyants comme à la fin du deuxième disque, « The girl in his dreams » ou « Mi Colpisce » qui nous remettent devant ces films d'horreur qui nous ont traumatisés. Mais heureusement, ce sont juste des films .... Hein ? “

Grégoire BRESSAC – Revue & Corrigée #136 – Juin 2023